Un être humain n’est « bon » que lorsqu’il est seul, et encore : il lui plaît quelquefois de se rendre désagréable envers lui-même. 

(2558)

 

 

    Tout ce que l’homme a créé est effroyable, excepté les traces laissées par ceux qui ont constaté que tout ce que l’homme avait créé était effroyable.

(2577)

     X est moins désagréable que la plupart des autres : il est bien plus déprimé.

(2576)

    Peu de gens vous avoueront que c’est la vue d’une patineuse sur roulettes portant un mini-short qui leur inspira de langoureux poèmes.

(2574)

 

 

Bien plus encore que Samuel Beckett dans un clip de rap :

 

Sainte Gogi-Prevel dans les Sphères

 

 

(De notre envoyée spéciale)

 

    Vous venez de vivre un moment exquis avec quelqu’un - une courte et aimable discussion, une séance de massage, un baiser doux, … peu importe. Juste après, en vous éloignant, vous ressentez une jouissance plus intense encore. Vous avez cette impression flotter sur le sol, comme en extase - le souvenir de ce moment vient de vous envahir en amplifiant son intensité.
    (Inutile de vous rappeler la suprême délivrance qui suit un moment désagréable.)
    En résumé, si l'on se rapproche des autres, c’est avant tout pour éprouver le plaisir de s’en éloigner bientôt.

(2575)

    Je vous comprends, soyez sans crainte : je ne me comprends pas moi-même.

(2570)

    Les gens qui s'imaginent être seuls raisonnables et posséder des idées ou des mots inconnus à tout autre, ces gens-là, ouvre-les : tu ne trouveras en eux que le vide.

(Sophocle)

 

   Dans nos conversations subsistent de nombreuses références au christianisme, lesquelles disparaîtront comme vous et moi. Pensez-vous vraiment que cela va changer quelque chose à l’affection que nous nous portons mutuellement ? Doux Jésus !

(2568)

 

    Z, candidat à la présidence de la République française, est viscéralement attaché à ce qu’il nomme « valeurs familiales ». Après avoir déclaré à de nombreuses reprises que la solidité d’un couple était liée à des sacrifices, il quitte sa femme pour sa jeune conseillère. Cependant, le nombre d’adhérents à ses idées fixes ne change pas, car en politique les convictions profondes forment une sorte de monolithe anguleux et indestructible planté dans le désert.

(2567)

    Le Bluff éthique dans La Philosophie de l’absurde (résumé trop succinct).
    Selon Giuseppe Rensi, chacun d’entre nous - ayant sa propre « raison » - considère les autres comme « déraisonnables », et désire donc leur imposer sa « raison ». Rejoignant Giacomo Leopardi, il est persuadé que tout accroissement de raisonnement ne fait qu’aggraver les choses et augmenter le chaos - au-dedans et autour de nous.
    « Nous sommes stupides, écrit-il, la stupidité loge naturellement en nous comme l’absurde à l’extérieur (…) »
    Il ajoute que la parole et le mot sont révélateurs de la déraison et de la folie, et que vivre est passer d’un état à un autre, sans que l’on puisse constater un quelconque progrès.
    Il aurait très certainement apprécié ce mot de Bertrand Russell :
    « Le problème en ce bas monde est que les imbéciles sont sûrs d’eux et fiers comme des coqs de basse-cour, alors que les gens intelligents sont emplis de doute. »
    Quant à Frédéric Schiffter, il pose Julian Freund et Albert Camus en vis-à-vis :
    « Le premier [Albert], révolté à l’idée que l’Histoire soit absurde, s’engage à lui donner un sens, le second [Freund] vaincu par le tragique de l’existence, s’abstient d’une telle absurdité. »
    « Originelle, l’explosion n’a jamais cessé » écrit-il avec malice.
    On se rappellera cette admirable maxime de Jean Rostand :
    « Ne pas ajouter à la démence du réel la niaiserie d’une explication. »
    Le va-t-en-guerre n’améliore pas davantage le monde que le pacifiste confronté à la brute. Au sein du chaos, le hasard s’occupe de tout. Qui réfléchit profondément est aussitôt projeté hors du monde, autant qu’il est rejeté par le monde.

(2557)

 

La Grande Explication 

 

 

    Le sage, lui, se dit qu'il est certes agréable d'aimer, également d'être aimé ou de croire l'être, mais que si ce n'eût été celle-ci et par celle-ci, c'eût été celle-là et par celle-là, qu'il n'y a donc pas lieu de s'échauffer, d'attester les cieux et les enfers, d'exagérer son bonheur ou son malheur, mais de jouir de la musique tant qu'elle joue et tant qu'on peut jouer.

(Paul Léautaud)

 

   Si vous désirez jouer du jazz à la guitare, ne commencez pas par apprendre les gammes, les arpèges, etc. Écoutez et réécoutez sans cesse Charlie Christian. Apprenez d’abord trois ou quatre notes de « Swing to bop » ou de « Waiting for Benny » - improvisation enregistrée par hasard, l’ingénieur du son réglant son matériel alors que le groupe attendait l’arrivée de Benny Goodman.
    N’écoutez que les génies, et tentez de dévorer une infime parcelle de leur talent.
    Charlie Christian avait décortiqué les solos de Lester Young jusqu’à en être possédé.
    Le même processus doit vous inspirer pour toute forme d’art.
    À moins d’un miracle, de mauvais enseignants ne vous apprendront jamais à écrire. Imaginez-vous Charles Bukowski ou Thomas Bernhard dans un « atelier d’écriture » ? C’est en fréquentant ceux qui vous ont envoûté que vous arriverez - peut-être - à faire éclore le meilleur de vous-même. Suivez les conseils des morts qui ont laissé un astéroïde brûlant. Finissez par devenir fou, et par abandonner le public. Glenn Gould s'était fait construire un studio à domicile pour y enregistrer ses immortels délires, après avoir déclaré que le concert était un sport sanguinaire pour auditeur sadique.
    Tout ce que vous ferez, faites-le d’abord pour vous. Ne vous inquiétez pas de l’avis général.
    De temps à autre, il vous arrivera de rencontrer sur Youtube un vieil homme effondré dans son divan, une guitare en mains, dans une salon poussiéreux où traînent des bouteilles de bière, et jouant du blues comme personne. C'est un perdant heureux.
    Ne croyez pas que la renommée mondiale vous apporterait un confort de vie supérieur : rappelez-vous la dimension de l’armoire à pharmacie de Glenn Gould.
    Faites comme bon vous semblera sans autre but que de chercher du plaisir avec le feu et la détermination solitaire.
    Ne soyez pas soumis à l’admiration des autres, mais à celle de ceux qui vous écoutent, vous lisent, vous regardent et vous parlent depuis l’intérieur de vous-même.
    Et si vous arrivez à ne rien faire, en finissant par les faire taire, vous aurez atteint le sommet - personne n’a jamais réussi à atteindre le sommet.

(2566)

    Dans l’Univers, ne se trouve rien de rigide ni de très anguleux. Cependant, les astronomes observent de temps à autre des signaux réguliers nous parvenant : une forme d’organisation particulière, peut-être semblable à la notre, existerait ailleurs. En affinant leurs recherches, ils s’aperçoivent que l’endroit d’où ce signal a été envoyé a disparu. Ces émissions proviennent d’une source désormais anéantie.
    Voilà l’avenir de toute organisation rigoureuse, mais cela n’empêchera pas les hommes de progresser avec gravité. Il ne suffit pas de savoir que la Terre explosera tôt ou tard, encore faut-il devancer l’Avenir, être les artisans de notre propre extinction. C’est ce que je nommerai Travailler plus pour détruire mieux. J’y pense quelquefois en m’endormant. Le pangolin nous avait compris - l’amanite vireuse aussi.

(2564)

     S’il arrive que ceux envers lesquels vous avez été généreux réapparaissent dans votre vie, c’est en règle générale pour vous demander de l’être à nouveau.

(2565)

   Selon Lucrèce, la peur de la mort gâche la vie, mais pour ma part, c’est au contraire la pensée de la mort qui permet - en plus de la chance, bien évidement - de finir par mener une vie de moins en moins désagréable. C’est la compagnie de la camarde qui m’a sauvé la vie, en m’incitant à prendre des chemins de traverse tout en rêvant sous la lune indifférente.
    À quoi bon « faire quelque chose de sa vie », « réussir », « tendre vers un but », alors qu’à chaque moment nous sommes susceptibles d’être anéantis ?
    Je ne voulais pas non plus d’enfants - mettre au monde une conscience m’est toujours apparu comme la plus grande preuve d’inconscience et de scélératesse. On me répéta que c’était par égoïsme, comme si l’altruisme consistait à jeter une petite bestiole fragile dans une mare empoisonnée.
    En résumé, la mort fut ma meilleure amie, et la plupart de mes amies aimaient célébrer l’inanité de toute chose en s’adonnant de toutes les façons possible à ce qui conduit à la « petite mort » - une bonne répétition générale.

(2561)

 

Chapitre II

 

 L'Auberge fameuse

    J’ai souvent été heureux sans le savoir, mais était-ce important puisque je n’étais pas malheureux ? Quand j’étais malheureux, par contre, c’était en toute clairvoyance.

(2559)

    Jules Renard, l’œil clair, toujours :
    « Il y a les conteurs et les écrivains, on conte ce que l’on veut, on n’écrit que soi-même.»
    Et aussi:
    « Écrire, c'est presque toujours mentir. »

(2560)

    Cher Épicure, j’ai plus ou moins suivi tes conseils à propos du jardinage et de la gastronomie. Mangeant quelques olives sous les arbres, je reçois dans ma petite agroforêt, à de rares occasions, celles qui évitent la multitude. Si tu désires y passer prendre le thé, n'hésite pas, mais ne sois pas contrarié quand tu apercevras la faucheuse assise au pied d’un bosquet, en train d’aiguiser une lame. Nous sommes amis et nous combattons chaque jour, après nous être salués. Elle pense me vaincre, mais peut-être sera-t-elle étonnée de se réveiller par un beau matin calme en constatant que je viens de lui dérober sa faux, et peut-être esquissera-t-elle un sourire en récupérant son outillage.
    Vale, mon ami. Il n’est pas improbable que la pensée soit impuissante à nous sauver de quoi que ce soit.

(2562)

   Avis

 

   Ce blog est en pause pour quelques temps, car nous avons des amazones à combattre et du thé à servir.

À bientôt pour d'autres non-aventures.

                 Saint-Antoine Abbé, l'idiot de l'Orée

    Dessine avec précision cet essaim d’abeilles suspendu à une branche. Ton travail est-il terminé ? Bien. Il ne vaut déjà plus rien. Imagine que cet essaim est le Moi et tu auras une idée de ce que tu es réellement : à chaque fois autre chose. Et n’oublie jamais qu’à chaque moment cet essaim peut disparaître pour aller s’installer ailleurs - ou disparaître pour toujours.

(2552)

   Je me contredis ? Pour sûr.
   Pourquoi t’en étonner ?
   Ne sommes-nous point nés
   du doute et du parjure ?

   Ne sais-tu pas (ô doux mystère !)
   que la contradiction
   c’est l’âme, la raison,
   la vie du monde tout entière ?

  (...)

   (Arturo Graf)

    On peut même dire que le fait qu'il y ait ou non des contradictions chez un penseur fait la différence entre celui qui pense par besoin et celui qui pense pour faire des livres. Ce dernier, qui ne se sent responsable que vis-à-vis de son système, évite les contradictions, comme il est bien aisé de le faire, c'est-à-dire en taisant ou supprimant tous les développements de sa pensée, bien réels pourtant (...)

(Giuseppe Rensi)