Que dire sur ce livre qui a déjà été si brillamment encensé, même le Figaro, sous la plume de Frédéric Beigbeder, y est allé de son compliment très louangeur : « Et soudain, un écrivain est né» ». Un écrivain est né dans une nouvelle collection qu’il inaugure comme si cette collection avait été créée spécialement pour le recevoir. Son éditeur le présente comme un être peu gâté par la nature, « il trouva sa voix en devenant invalide ». « … Il lui arrive de se poser des questions, sans jamais trouver la moindre réponse… ». Il a choisi de vivre dans son petit coin de Belgique, dans le sillon Sambre-et-Meuse, à l’abri des regards et d’une éventuelle notoriété, et désormais même d’une réelle popularité.
Frédéric Schiffter, le préfacier de cet opus qui ressemble à un P’tit cactus tout en étant deux fois plus épais, revient sur l’importance de l’aphorisme dans la littérature et sur la praticité de les regrouper dans des recueils qu’il est possible de lire à partir de n’importe quelle page sans jamais risquer de perdre le fil de l’histoire. Le présent recueil contient une sélection d’aphorismes choisis parmi deux mille proposés à l’origine, mais pas tous retenus pour des raisons éditoriales ou autres (« Les aphorismes manquants ont été refusés par l’éditeur, en accord avec l’auteur. Ils seront publiés après la mort de celui-ci ou de celui-là »). Schiffter définit Blaise comme « …un fervent praticien de l’écriture en état d’attention flottante pour réveiller son lecteur en le régalant de remarques lucides… ».
Pour ma part, j’ai lu ce recueil avec attention, à petite dose, régulièrement, pour toujours assimiler attentivement les propos de l’auteur sans risquer la surdose ou l’égarement. J’ai consommé du temps de lecture mais je n’ai pas gâché mon plaisir de lire. Le livre de Blaise ne contient pas seulement des aphorismes, il contient aussi des textes courts en forme de démonstration ou de simple constatation pour expliquer son propos, ses idées, sa vision du monde et de la société, le comportement des humains, … Son immense culture lui permet de citer de nombreux auteurs, philosophes, romanciers poètes et autres qu’il apprécie plus ou moins - ou pas du tout - ainsi que des musiciens et des chanteurs dont il aime les créations et les prestations.
Avec de l’ironie, de la dérision et même du sarcasme, ces textes évoquent souvent son amertume, son désenchantement voire une certaine forme d’aigreur en constatant le fonctionnement de notre société et le comportement souvent stupide et peu réfléchi de ses contemporains qui ont fait du monde, qui aurait dû être un paradis, un purgatoire en voie de devenir un réel enfer. Il met en parallèle cette vision désabusée avec toutes les splendeurs que la nature, la faune et la flore, et les jolies filles pourraient nous offrir si on ne les contrarierait pas trop.
Blaise évoque tous ses états d’âme à travers ses aphorismes et ses textes courts, j’en ai noté quelques-uns pour montrer son grand talent littéraire, son immense culture, sa finesse d’esprit, la force de ses déclarations, l’intelligence de ses réflexions, la corrosivité de son ironie, sa vison de notre monde et des hommes qui l’occupent …, en quelques mots seulement :
L’homme vit dans la nature que Blaise préfère vierge qu’encombrée par les hommes : « Alors que, en forêt, les formes sont en perpétuel mouvement, l’homme met un point d’honneur à encombrer l’espace habité par des monstruosités géométriques et monumentales… ». « Que peut faire en ce monde un homme clairvoyant, sinon demander pardon à tout ce qu’il abime par sa simple présence ? ». L’homme détruit son milieu naturel et vit une existence coincée entre deux progressions, « celle dite de droite, qui lutte pour le bonheur, et celle dite de gauche, qui se bat contre le malheur ».
Alors Blaise laisse quelques pistes que l’homme pourrait explorer pour vivre dans l’humanité, la sensibilité et une certaine quiétude : « Marcher / Respirer / Sans attendre / Ni espérer », « Ne retiens pas tes larmes. Etre un homme c’est aussi être capable de pleurer », « Ne parlez pas d’amour, d’amitié ou de Dieu, mais de caresse, de tendresse et d’orgasme ». « C’est le reflet de notre propre médiocrité qui nous déplait tant chez les autres … ».
L’homme se veut aussi écrivain et lecteur, Blaise lui laisse deux brefs conseils : « L’écriture n’est qu’un simple passe-temps qui finit vite par lasser les auteurs clairvoyants ». « L’optimisme est la racine du pire ». Alors, que puis-je conclure après de telles déclarations : que j’attendrai son prochain opus avec impatience bien qu’il laisse planer un vrai doute « Je serai publié le jour où j’aurai prouvé ma bonne foi en arrêtant d’écrire, mais il est probable que je continuerai, parce qu’on ne sait jamais ». Alors ?
Denis Billamboz - Par ici
(Merci à Denis Billamboz, LDS)