J’ai un ami, messieurs. Lorsqu’il se prépare à agir, il commence par vous expliquer clairement, en de grandes et belles phrases, comment il faut agir d’après les règles de la raison et de la vérité. Il y a plus : il vous parlera avec passion des intérêts normaux et réels de l’humanité ; il raillera la myopie des sots qui ne comprennent ni leurs propres intérêts, ni la vraie vertu. Mais un quart d’heure après, sans motif aucun, sous l’impulsion de quelque chose de plus puissant que tous les intérêts, il accomplira une sottise quelconque, c’est-à-dire qu’il agira contrairement à toutes les règles qu’il avait citées, contrairement à la raison et contrairement à son propre intérêt ; en un mot, contrairement à tout.
Je dois vous avertir que mon ami est un personnage collectif, et par conséquent qu’il serait assez difficile de n’accuser que lui. Nous y voilà, messieurs !
(Fédor Dostoïevski)
